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Douloureux anniversaire iranien

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C'est en Iran que tout a commencé. C'était il y a deux ans jour pour jour. Le 12 juin 2009, des dizaines de milliers d'Iraniens descendaient spontanément dans la rue pour protester pacifiquement contre la réélection à la présidence de Mahmoud Ahmadinejad qu'ils estimaient entachée de fraudes massives. Ce mouvement, baptisé "mouvement vert", mais qui ne remettait pas pour autant en cause les fondements de la République islamique, demeurait exceptionnel à plusieurs titres. Il représentait les plus importantes manifestations dans le pays depuis l'avènement de la République islamique en 1979. Il sonnait pour la première fois le réveil dans un pays musulman d'une population face à son gouvernement, et allait servir d'exemple à toute une région...

"C'est totalement faux", s'insurge Azam, professeur en université à Téhéran. "Notre révolution démocratique et économique contre un dictateur soutenu par l'Occident, nous l'avons faite il y a trente-deux ans, et nous avons été volés, avec le résultat que l'on connaît...".

Quoi qu'il en soit, deux ans plus tard, l'espoir a cédé la place à une profonde déprime, avec le retour du traditionnel mot d'ordre "sauve qui peut", en d'autres termes le départ à l'étranger, à tout prix, pour une jeunesse, majoritaire dans le pays, mais en manque cruel d'avenir. "Qui se souvient aujourd'hui de Neda, Sohrab, Taraneh? et de tous ces jeunes qui ont sacrifié leur vie pour notre liberté", s'interroge Sahar, étudiante à Téhéran qui participait aux manifestations de juin 2009. "On a vraiment le sentiment que tous ces jeunes, ainsi que ces innombrables inconnus toujours emprisonnés, ont sacrifié leur vie pour rien".

Deux ans plus tard, le régime iranien a réussi à réduire au silence le mouvement. Mais pas à n'importe quel prix. Au moins 150 personnes ont été tuées, en pleine rue au cours de manifestations, torturées en prison, ou alors pendues à l'échafaud. Des centaines de manifestants ou d'activistes ont été condamnés à des peines de prison record. En tête des élus, Nasrin Sotoudeh, illustre avocate iranienne, condamnée à 11 ans de prison, ou encore Hossein Derakhshan, le "père des blogueurs" iraniens, qui devra lui purger 19 ans et demi.

Un nouveau stade a même été atteint dans la répression. Depuis le début de l'année, ce sont au moins 180 personnes qui ont été exécutées dans le pays, officiellement pour des peines liées au trafic de drogue, mais après des procès éclairs dont le but inavoué est d'effrayer la population, comme en témoigne l'exécution de l'Irano-Néerlandaise Zahra Bahrami, pendue le 29 janvier 2011 pour possession et vente de cocaïne alors qu'elle avait été arrêtée durant les manifestations de décembre 2009. Aujourd'hui, le constat est sévère: l'Iran dépasse la Chine en nombre d'exécutions par habitant, selon la Fédération internationale pour les droits de l'Homme.

Ce matin, le journaliste Reza Hoda Saber, opposant au régime iranien qui observait une grève de la faim en prison depuis le 2 juin, est mort d'une crise cardiaque à l'hôpital, selon le site d'opposition Kaleme.com. Le journaliste avait entamé une grève de la faim le 2 juin dernier, après avoir appris le décès Haleh Sahabi, opposante iranienne de 54 ans, dans des heurts provoqués par les services de sécurité lors des funérailles de son père, Ezatollah Sahabi, illustre opposant iranien décédé la veille.

À l'occasion du second anniversaire des manifestations iraniennes, le site de la Campagne internationale pour les droits de l'Homme en Iran vient d'ailleurs de dévoiler le terrifiant témoignage d'une Iranienne qui a été détenue, torturée et violée en 2009, et qui, deux ans plus tard, ose enfin briser le silence et appelle toutes les autres victimes à en faire de même.

Une mort également politique. Les leaders du mouvement vert, MirHossein Moussavi et Mehdi Karoubi, ex-candidats vaincus de la présidentielle qui n'étaient pourtant que des réformateurs qui n'ont jamais remis en cause le Régime, demeurent emprisonnés -pardon, assignés à résidence- depuis février dernier, après que de nouvelles manifestations ont émaillé le pays en février et mars, à la faveur des révoltes arabes. Aujourd'hui, les seuls débats subsistant en République islamique voient s'affronter ultraconservateurs de la trempe d'Ahmadinejad et "conservateurs modérés" plus proches du Guide suprême, l'ayatollah Khamenei, avec en ligne de mire les élections législatives de 2012, ainsi que la prochaine présidentielle de juin 2013. Accusés de "sédition", les Réformateurs, sont quant à eux définitivement rayés de l'échiquier politique iranien.

Mais malgré ce lourd silence de l'opposition, un nouvel appel a été lancé sur les réseaux sociaux pour une marche silencieuse aujourd'hui le long de l'avenue Vali-Asr, la principale artère de la capitale, afin de marquer le "Coup d'État" qu'a constitué, selon elle, l'élection présidentielle de juin 2009.

Mais preuve de la crainte toujours omniprésente du gouvernement, des milliers de policiers anti-émeutes et des bassidjis (milice islamique) étaient déployés cet après-midi dans le centre de Téhéran, pour empêcher toute manifestation de l'opposition, à l'occasion du second anniversaire de la réélection contestée du président Ahmadinejad.

Néanmoins, des témoins ont rapporté que des manifestants s'étaient rassemblés nombreux à Téhéran et ont évoqué des arrestations. Selon le site d'opposition Kaleme, appartenant à l'opposant MirHossein Moussavi, des policiers ont tenté de disperser des contestataires à coups de bâton et "des centaines de manifestants" ont été appréhendés par les forces de l'ordre.

"Les forces de sécurité ont attaqué la foule à l'aide de matraques électriques (...) dans la rue Vali-e Asr pour disperser les manifestants", affirme pour sa part le site Sahamnews, appartenant à l'autre opposant Mehdi Karoubi.

Selon le site d'opposition, des opposants se sont rassemblés en d'autres points de la capitale. "Les commerçants ont reçu l'ordre de fermer leurs boutiques (...) et des centaines de gens se sont réunis dans d'autres quartiers de Téhéran", précise le site.

Mais si cette date du 12 juin 2009 a marqué l'histoire, c'est aussi parce qu'elle a signé l'avènement du journalisme citoyen et du cyber-activisme, qui s'avérera déterminant dans le printemps arabe. Si les autorités iraniennes ont expulsé il y a deux ans l'ensemble de la presse internationale, elles n'ont rien pu faire contre la présence de millions de téléphones portables brandis par de courageux manifestants capturant les moindres faits et gestes des forces de sécurité, et  s’empressant de mettre en ligne leur contenu sur Twitter, Youtube, et Facebook, malgré un Internet filtré ainsi qu'une vitesse de connexion catastrophique. Témoignant tout d'abord de l'ampleur de l'espoir, ils ont ensuite révélé au grand jour la férocité de la répression.

Deux ans plus tard, cette révolte et tous ses sacrifices ne sont pas oubliés. "Ils nous ont donné leurs yeux. Nous voulons leur donner la parole". Pour les récompenser de leur courage et faire définitivement rentrer ce mouvement dans l'histoire, le collectif Iranian Stories a décidé de lancer un projet tant ambitieux qu'original: donner la parole aux Iraniens eux-mêmes pour nous faire revivre cette période de folie. Après avoir rassemblé et visionné des milliers de vidéos postées en ligne depuis le 8 juin 2009, les journalistes du site ont concocté une sorte de "Best of"présenté sous forme de frise historique interactive. Mais la partie la plus intéressante du projet réside sans nul doute dans la possibilité offerte aux citoyens d'Iran de témoigner de leur expérience, grâce à une connexion ultra-sécurisée, et ainsi mettre une histoire sur chacune de ces images, pour nous retracer le fil passionnant des événements, comme si l'on se trouvait nous-mêmes dans les rues de Téhéran, Shiraz, ou Ispahan.

Si les principaux témoignages ont pour l'instant été recueillis chez les réfugiés iraniens désormais en Europe, c'est un véritable appel à témoin en direction de l'Iran qui a été lancé mercredi dernier à l'Hôtel de ville de Paris, pour le lancement officiel de Iranian stories, afin de nous faire revivre l'histoire et pourquoi pas vivre l'actualité.

Mais comme tout projet de grande qualité, il a besoin de fonds et de partenaires pour survivre. Pour pouvoir à terme servir la cause d'autres populations de la Région vivant actuellement, à huit clos, des jours tragiques comme historiques. C'est le cas en Syrie, autre pays où les médias font défaut, tandis que les Gardiens de la Révolution iraniens ont tout le loisir d'y enseigner à leur allié leur précieux savoir faire.

La révolte iranienne n'est pas tout à fait terminée...


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